En souvenir d’une magnifique journee dans le lac enchanteur du Bourget et le vert canal de Savieres :
Alphonse de Lamartine publie Les Meditations Poetiques en 1820 et obtient un succes retentissant.
Le recueil des Meditations poetiques regroupe 24 poemes qui auront ete tel le premier manifeste du romantisme francais. Cela constitue une sorte de journal intime des experiences vecues par le poete entre 1815 et 1820, dont la plus celebre fut inspiree par Anna Charles, l’actrice aimee evoquee dans « Le Lac ».
Notre poeme, d’abord intitule « Ode du Bourget« , a ete compose entre le 27 aout et le debut du mois de septembre 1817.
Lamartine se souvient de Julie. Le poete se degote dans un lieu qui lui est cher, pres d’un lac, qui possi?de ete le temoin de l’ensemble de ses amours, et lorsqu’il y revient sans la femme aimee desormais morte, il te prend douloureusement conscience une fuite du temps. Cela se rend compte que seule la nature peut conserver la trace des amours vecues.
LE LAC
Ainsi, toujours pousses par de nouveaux rivages, Dans Notre nuit eternelle emportes sans retour, Ne pourrons-nous pas dans l’ocean des ages Jeter l’ancre un seul jour ?
O lac ! l’annee tout juste a fini sa propre carriere, ainsi, pres des flots cheris qu’elle devait revoir, Regarde ! je viens seul m’asseoir dans cette pierre Ou tu la vis s’asseoir !
Tu mugissais ainsi sous ces roches profondes, Ainsi tu te brisais sur leurs flancs dechires, Ainsi le vent jetait l’ecume de tes ondes Sur ses pieds adores.
Un apri?m, t’en souvient-il ? nous voguions en silence ; On n’entendait au loin, sur l’onde et sous les cieux profil kik, que le bruit des rameurs qui frappaient en cadence Tes flots harmonieux.
Tout a coup des accents inconnus a la terre Du rivage charme frapperent nos echos ; Notre flot fut attentif, ainsi, la voix qui m’est chere Laissa tomber ces mots :
« O temps libre ! suspends ton vol, ainsi, vous, heures propices ! Suspendez la lei§ons : Laissez-nous savourer les rapides delices Des plus beaux i€ l’heure actuelle !
« Assez de malheureux ici-bas vous implorent, Coulez, coulez pour eux ; Prenez avec leurs jours les soins qui les devorent ; Oubliez les heureux.
« Neanmoins, je demande en vain quelques moments encore, Le temps m’echappe et fuit ; Je dis a votre nuit : Sois plus lente ; et l’aurore Va dissiper J’ai nuit.
« Aimons donc, aimons donc ! de l’heure fugitive, Hatons-nous, jouissons ! L’homme n’a point de port, moyen n’a point de rive ; Cela coule, ainsi, nous passons ! »
Temps jaloux, se peut-il que ces moments d’ivresse, Ou l’amour a longs flots nous verse le bonheur, S’envolent loin de nous une meme vitesse que les jours de malheur ?
Eh quoi ! n’en pourrons-nous fixer bien la trace ? Quoi ! passes Afin de pas ! quoi ! bien entiers perdus ! Ce temps libre qui les donna, votre temps libre qui les efface, Ne nous nos rendra plus !
Eternite, neant, passe, sombres abimes, que faites-vous des jours que vous engloutissez ? Parlez : nous rendrez-vous ces extases sublimes Que vous nous ravissez ?
O lac ! rochers muets ! grottes ! foret obscure ! Vous, que le temps epargne ou qu’il pourra rajeunir, Gardez de une telle nuit, gardez, belle nature, Au moins le souvenir !
Qu’il soit dans ton repos, qu’il soit au sein d’ tes orages, Beau lac, et dans l’aspect de tes riants coteaux, Et dans ces noirs sapins, et dans ces rocs sauvages Qui pendent concernant tes eaux.
Qu’il soit au zephyr qui fremit et qui passe, Dans les trucs de tes bords par tes bords repetes, Dans l’astre au front d’argent qui blanchit ta surface De ses molles clartes.
Que le vent qui gemit, le roseau qui soupire, Que les parfums legers de ton air embaume, Que tout votre qu’on entend, l’on voit ou l’on respire, Tout dise : Ils ont adore !
Alphonse de Lamartine (1790-1869), in Meditations poetiques, 1820